
Aujourd’hui, la recherche de l’excellence est rhétorique dans quasiment tous les discours officiels. Mais paradoxalement, la qualité de l’enseignement dans les universités et instituts universitaires tant publics que privés laisse à désirer. Jamais la baisse de niveau n’en finira d’avoir des conséquences rétrogrades sur le développement du Tchad. En dépit de sa position de lanterne rouge au classement mondial en matière éducative (le Tchad et la RCA ont les classements les plus bas au monde, suivis de près par le Congo selon un rapport du Fmi en 2011), le Tchad compte étonnement plus de 91 instituts d’enseignement supérieur aujourd’hui. Plus 8 universités dont une privée («université Emikoussi»). Sur les 91 instituts, seulement 11 sont étatiques. Les 80 autres sont tous privés. Un tel chiffre est absolument surprenant pour celui qui connait le niveau d’alphabétisation du pays. Questions. Qui donne l’autorisation de fonctionnement aux instituts privés? Sur quels critères? Qui sont leurs étudiants, étant donné que même les universités d’Etat n’attirent aucun étudiant étranger? Quelles formations dispensent-ils?
Selon un enseignant de l’Université de N’Djaména, «la création effrénée des instituts privés d’enseignement supérieur au Tchad ces dernières années est la preuve de l’effacement total de l’autorité de l’Etat sur l’éducation» (il est important de rappeler que cet enseignant lui-même dispense un cours dans un grand institut de la place). C’est vrai. Depuis plus de cinq ans, des particuliers s’en vont acheter l’autorisation de créer des instituts privés d’enseignement supérieur, comme on achète du pain à la boutique. Selon la même source, personne ne contrôle, ni en amont, l’effectivité des structures dont ces particuliers disposeraient pour faire fonctionner normalement une école de formation professionnelle ni en aval, la qualité de l’enseignement qu’une telle école donnerait. Sans faire abstraction du non respect du programme de l’enseignement supérieur nationalement instauré. Il faut également noter que dans certains instituts, la soutenance pour l’obtention du diplôme de fin d’études se fait de manière collective. Conséquences, telles des quincailleries, les quartiers de la ville de N’Djaména sont inondés par cette nouvelle forme de «commerce académique». «Pour ce qui est de leurs étudiants, il n’est un secret pour personne qu’ils sont quasiment les produits de la porosité du baccalauréat tchadien qui s’obtenait jusqu’en juillet dernier, avec une moyenne impensable de 8,25», informe un responsable du rectorat de l’Université de N’Djaména, avant de renchérir: «dans notre université, on ne recrute pas les étudiants qui ne sont pas admis d’office».
A cause du manque d’enseignants qualifiés et d’une politique de formation professionnelle bien structurée, la qualité de l’enseignement dans les institutions étatiques, est aussi en chute libre. L’occasion faisant le larron, les instituts privés d’enseignement supérieur en profitent pour attirer chaque année, des milliers de nouveaux bacheliers, emportés par des études moins rigoureuses. A chaque rentrée académique, le mérité de ces écuries où on enseigne toutes les filières du monde, est diffusé sur tous les supports. Résultat: le nombre de demandeurs d’emploi au Tchad croît avec une vitesse éclaire (plus de 50 000 dossiers à la Fonction publique actuellement). Autant ces demandeurs d’emploi manquent de profil. Selon un agent de la Fonction publique, sur 100 jeunes qui se présentent avec des dossiers d’intégration, moins de 10 ont la compétence requise pour servir véritablement l’Etat ou dans les fonctions correspondant à leur profil.
Que l’image des institutions de la République soit à tout temps ternie par des responsables irresponsables, que l’administration tchadienne saigne à blanc, que des citoyens d’un pays deviennent, comme sous l’effet d’un mauvais sort, tous inciviques, malhonnêtes, hypocrites, intolérants, voleurs, voyous, inégaux, corrupteurs, corrompus, menteurs, criminels, insociables…, il y a lieu de «refondre le matériau humain», dixit Aimé Césaire. Alors qui doit-on former ? Où, comment et quand? Pour quel but? Ce sont ces questions qui doivent guider l’Etat et ses partenaires, qui se sont complètement plantés dans la formation des jeunes cadres ces dernières années, s’ils veulent espérer retrouver la route du développement durable.